• France et Droits de l'Homme: dire tout, et surtout n'importe quoi

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    France et Droits de l'Homme: dire tout, et surtout n'importe quoi. La rengaine. L'avantage, c'est que l'on sait qu'elle revient fréquemment. Cette fois-ci, elle se fait appeler Eric Dupond-Moretti (attention à l'écriture, sinon, on se fait taper sur les doigts par les fans). Une fois de plus, l'avocat a délivré une prestation de choix, comme à ses plus belles heures de Cour d'Assise où, l'on ne saurait le feindre, il est craint.

    Cette fois, cela s'est passé à la radio. Exercice par trop facile pour cet orateur de talent, et nul, là encore, ne peut remettre cela en cause.

    Non, cette fois-ci, pas de "flic" qu'il aurait pu "dévorer". Pour le coup, il s'agissait, pour Jean-Jacques Bourdin, animateur de la matinale de RMC, de trouver un remplaçant à Nicolas Sarkozy, lequel s'est décommandé plus ou moins à la dernière minute.

    Alors, comment fait-on? C'est une heure de grande écoute, et donc quoi de mieux, pour conserver ses auditeurs, qu'une grande gueule?

    Une bonne gouaille. Et on la fait parler, parler... tant qu'à faire de l'actu. On le sait, il y aura des des petites phrases à récupérer pour l'audimat.

    Alors, donc, on parle droit, bien sur. Et l'actualité ne manque pas. Il y a "déchéance de nationalité", un classique, en ces jours sombres. Et puis il y a les Droits de l'Homme. Je cite Maitre Dupond-Moretti:

    "La France n'est plus le pays des droits de l'homme... Strasbourg condamne régulièrement la France, c'est même le pays le plus condamné par la cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il est vrai après la Turquie, ce qui n'est pas très glorieux.. toutes les avancées en matières de libertés individuelles nous viennent de Strasbourg; comme la présence d'un avocat en garde à vue." "C'est le pays des droits de l'homme à l'exportation. "

    Allez. Arrêtons-nous là quelques instants. Soyons clairs, chacun a le droit de dire ce qu'il pense, la liberté d'expression, c'est pour tout le monde. C'est dit.

    Maintenant, voyons un peu de quoi il s'agit. Lorsque j'ai entendu ces déclarations, ma première réaction a été de me dire que bon, ce n'est pas très étonnant. Surtout lorsque l'on connait le personnage, devenu caricature. Et puis, je me suis dit que bon, j'aimerais bien en savoir plus. C'est comme toujours, assez facile de balancer des punchlines dont on sait qu'elles seront largement reprises à la fois par le fan-club, mais aussi par les médias. Et ça n'a pas loupé.

    Je suis d'abord "tombé" sur un site qui me donnait des statistiques de... 2005. Bon, ok. ça fait dix ans. Un peu vieux, non? Mais, il faut le reconnaître, en 2005, la France était l'un des pays les plus condamnés par la CEDH. Oui.

    Et puis, le graal est arrivé (merci Twitter) , j'en suis arrivé aux dernières statistiques en ligne, à savoir celles de 2014. C'est tout de même mieux, non? Regardons de plus près.

    La France et le recours à la CEDH, en 2014

    L'on constate que la France est concernée par 22 arrêts ayant été rendus. A titre comparatif, la Russie en est à 129, la Turquie à 101 et la Grèce, à 54. Concrètement, la France est au 12ème rang (sur 47), en nombre d'arrêts qui ont été rendus.

    Mais, cela ne signifie pas, à ce stade, qu'elle a été condamnée.

    Y'a plus qu'à... 2ème colonne du tableau.

    Sur ces 22 arrêts, 17 ont condamné la France, 4 se trouvent être des arrêts de non-violation, et la dernière affaire s'était soldée par un règlement amiable. Le compte est bon.

    17 arrêts de condamnation, donc. Nouvelle comparaison: la Russie est condamnée à 122 reprises, et la Turquie à 94 reprises. La France est "classée" au 14ème rang des pays signataires (toujours sur 47).

    Bon. Pas de quoi s’enorgueillir, me semble-t-il. Condamnation, avec un "S" il y a. C'est donc qu'il y a des choses à revoir, pour être en conformité avec la CEDH.

    MAIS... Mais, soyons aussi un peu réalistes, concrets. Sortons un peu de nos idéologies et de ces foutus carcans. Arrêtons, avec ce chiffre, de relayer le fait que "la France n'est plus le pays des Droits de l'Homme", c'est, pardonnez-moi, une belle connerie. Déjà, parce que cela n'a aucun sens. Certes, notre pays s'est trouvé fer de lance en la matière, il y a un peu plus de deux cent ans. Mais, dit de la sorte, notre précieux conseil en serait presque à sous-entendre que l'on torture un peu partout, et que la justice, allez, soyons fou "la police", (çà lui fera plaisir), c'est l'enfer sur terre, et que nous vivons dans un régime totalitaire. Et ce même si l'on vit une époque, depuis quelques mois, pour le moins tumultueuse et incertaine.

    Oh, ne venez pas me parler de l'Etat d'Urgence, je vous vois venir...

    Donc, non. Soyons clairs. Oui, la France est condamnée. Non, nous ne vivons pas en dictature.

    Quelle lecture donner à ces chiffres?

    La question peut aussi se poser d'une autre manière, sur le fait de savoir si un Etat "peu condamné" rend vraisemblable l'hypothèse selon laquelle le droit y serait plus respecté? Énormément de paramètres peuvent entrer en ligne de compte. Il me semble que l'on peut se demander quel est l'accès au droit, pour tout un chacun. Et je pense que, avec tous les problèmes de moyens que l'on peut avoir, notre système permet (certes avec lenteur) d’accéder, à la justice nationale, mais aussi, de fait, Européenne. On peut aussi faire de jolies statistiques où l'on compare le nombre d'habitants, le nombre de procédures engagées... mélanger le tout, et donner d'autres lectures à ces tableaux. En fait, celles qu'on veut.

    Donc oui, la France a été condamnée. Oui, certaines condamnations ont donné lieu, par le passé, à des modifications législatives. Et notamment, les dernières, en relation avec la présence de l'avocat en garde à vue. Et d'autres interviendront très probablement...

    Maintenant, cette juridiction supra-nationale est pleinement dans son rôle. Et si tout allait bien, elle n'aurait aucune raison d'exister. Son but est, justement, d'harmoniser les législations européennes quand aux droits dits "universels". Et elle fait son travail.

    Pourtant, je ne vois pas, dans ces chiffres, de signe catastrophique, de quoi tirer quelque sonnette d'alarme. Un système judiciaire français beaucoup condamné en 2005, oui. Mais pas en 2014. Maitre Dupond-Moretti, il faut remettre vos fiches, et vos données à jour. Vous le savez mieux que quiconque. Le droit est vivant. Mais, rassurez-vous, l'objectif est atteint; vous avez fait le buzz.

    Par Chris, le policier

    Illustration CC0 Public Domain Pas d’attribution requise Sans langue de bois

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